3 questions à Alexandre Mora, directeur développement et commerce France chez Transdev
Nous avons récemment pu nous entretenir avec Alexandre Mora, Directeur développement et commerce France chez Transdev. Fort d’une longue expérience au sein des collectivités territoriales, il a pu nous donner sa vision des enjeux de la mobilité, à la fois du point de vue des opérateurs et des AOM.
Pouvez-vous vous présenter ?
A.M. : Je m’appelle Alexandre Mora et je suis depuis novembre 2023 le Directeur développement et commerce France de Transdev. J’ai donc en charge : la direction des offres, la direction des partenariats, la direction économie mixte et assistance technique et la direction du développement territorial.
J’ai auparavant passé 20 ans au service des collectivités territoriales, notamment au sein d’une communauté urbaine et d’un conseil régional, où je traitais alors des mobilités « de l’autre côté du miroir », du côté des Autorités Organisatrices de la Mobilité (AOM) et du service public.
Quels sont les défis actuels pour les opérateurs de transports ?
Coïncider aux besoins de la population…
A.M. : Notre premier enjeu est de répondre aux besoins de la population.
En 2023, Régions de France et Transdev ont lancé une grande étude avec Ipsos, auprès de 12000 Français sur la thématique globale des mobilités. Il en ressort que les Français ont toujours plus de besoins de transports collectifs et sont donc en attente de toujours plus de services.
Ces besoins correspondent généralement à des mouvements pendulaires et sont concentrés entre 6h et 8h puis en fin de journée. Il faut pouvoir s’y adapter, tant sur la fréquence que sur le maillage. Pour cela, il faut tendre à un écosystème global de mobilités.
À la place du « plan en étoile » de voies ferrées qui avait été déployé lors de la IIIe République, nous visons aujourd’hui un système de mobilités « en toile d’araignée ».
Tout en menant la décarbonation des mobilités…
A.M. : Un autre enjeu est celui de la décarbonation des mobilités. L’un des objectifs est la baisse de la part modale de la voiture individuelle, aujourd’hui utilisée par 86 % des Français pour au moins un déplacement quotidien. Pour cela, il est nécessaire de comprendre l’usage que les gens ont des transports.
En termes d’accessibilité, on sait par exemple que si on n’a pas :
- une gare à moins de 15 minutes à pied de chez soi,
- une aire de covoiturage à moins de 12 minutes
- un arrêt de bus ou de car à moins de 7 minutes, on est trop éloigné !
Cette enquête nous montre aussi que l’usage du vélo progresse en milieu rural. 18% des habitants du rural utilisent régulièrement le vélo pour au moins un type de déplacement du quotidien (+4 points entre 2019 et 2023). Un mode particulièrement intéressant pour les premiers et derniers kilomètres.
La question du ferroviaire revient souvent mais il ne peut pas être la seule réponse. D’une part parce que 30% de la flotte fonctionne aujourd’hui en bimode, alternant alimentation électrique et alimentation diesel, mais aussi et surtout parce que nous avons aujourd’hui en France 30000 kilomètres de voies ferrées et un million de kilomètres de routes. Pour que chacun puisse disposer d’une solution de mobilité, la route est l’avenir des mobilités.
En respectant les contraintes économiques
A.M. : Et ce d’autant plus qu’un enjeu économique est toujours présent : des services comme les bus, les cars à haut niveau de service ou le covoiturage peuvent être rentabilisés extrêmement vite dès qu’il y a de l’usage, ce qui n’est pas le cas du ferroviaire qui demande initialement des infrastructures lourdes et autrement plus onéreuses.
Pour répondre à l’ensemble de ces enjeux, Transdev se pense comme un intégrateur de mobilités et de solutions de mobilités : nous ne sommes pas suffisants sur un territoire ; il faut que nous soyons entouré d’un écosystème de solutions pour que les habitants s’y retrouvent.
Et du côté des AOM, quels sont les défis ? Comment assurer une bonne complémentarité des services ?
Adapter les réseaux aux nouveaux bassins de mobilités…
A.M. : Jusqu’à la loi MapTam et la loi NotrE, nous avions des territoires à taille humaine, généralement des métropoles ou intercommunalités qui étaient constituées de 20 à 30 communes maximum, sur lesquelles nos propres services étaient modelés. Désormais on doit adapter un service à l’échelle parfois d’intercommunalités XXL de 80 à 140 communes…
Parallèlement les conseils régionaux sont devenus chefs de file en matière de mobilités.
Si la desserte des communes périphériques n’a pas été opérée dans un premier temps, nous avons depuis le renouvellement électoral de 2020 une vague de réextension des réseaux, en cercles concentriques autour des réseaux historiques de centre ville.
… pour créer tout un écosystème d’intermodalité
A.M. : Pour des questions de coût, il n’est pas question d’étendre les réseaux de tram. En première et deuxième couronne, on peut étendre le réseau de bus. Mais pour la desserte des communes les plus éloignées, il est évident que ce sont les solutions de covoiturage et de transport à la demande qui vont s’imposer, parfois même en sollicitant les artisans taxis du territoire.
Dans les zones où un fort besoin est identifié, et notamment depuis la loi SERM, le développement de Cars à Haut Niveau de Service (CHNS ou Car Express) est aussi une solution à envisager, notamment en l’absence de lignes TER vers lesquelles un rabattement serait autrement possible.
L’un des Cars Express reliant Blaye et Bordeaux, opéré par Transdev. Ces cars offrent un nouveau standard de confort en étant notamment équipé de ports USB et de la Wi-Fi.
On va ainsi pouvoir avoir, par exemple, un transport à la demande qui prend la personne chez elle en dernière couronne qui la rapatrie au plus près de la première desserte de bus ou de tram pour la rabattre vers l’hyper centre où le dernier kilomètre pourra être fait à vélo ou en trottinette.
On crée alors tout un écosystème d’intermodalité, avec au centre la question des pôles d’échanges multimodaux pour éviter la rupture de charge.
Mais les enjeux d’organisation se retrouvent également entre les différentes AOM qui doivent s’harmoniser de part et d’autre de leurs frontières administratives pour éviter la rupture de charges mais aussi harmoniser les conventions tarifaires.
N.M. : Le dernier « Rapport sur l’état des services publics » (Nov. 2023) fustige le fait qu’on juge le succès d’une politique de mobilité sur les seuls chiffres de fréquentation du réseau de transport public.
Comment évaluer autrement la capacité d’un réseau de transports à répondre aux attentes des citoyens ?
S’appuyer sur la data…
A.M. : Tous les 10 ans, l’INSEE mène une enquête nationale transports et déplacements, ce qui est une bonne base de travail, mais force est de constater que, vu la fréquence, ces données sont déjà obsolètes lorsqu’elles paraissent.
Or, pour coller au plus près des attentes, des besoins et des réalités d’aujourd’hui, on a besoin de s’adosser de manière globale à de la donnée.
C’est pour cela que nous développons des partenariats avec des opérateurs de téléphonie qui nous permettent, grâce au balisage des téléphones portables, de se rendre compte des flux, d’étudier les mouvements sur les différents territoires.
… pour suivre des comportements qui évoluent toujours plus vite
D’autant que les comportements changent vite. Si les mobilités sont par essence en mouvement, elles ne l’ont jamais autant été que ces 10 dernières années.
Il y a bien sûr eu différents électrochocs qui accentuent cette tendance : celui du litre d’essence à 2€, celui du réchauffement climatique, celui de la fin du moteur thermique, etc. Et cela a modifié les attentes : on est aujourd’hui plus enclin à faire un trajet plus long si c’est pour payer moins cher et assainir son bilan carbone.
Et s’efforcer d’anticiper ceux de demain !
Face à la rapidité des changements, il ne faut pas seulement identifier les besoins d’aujourd’hui, mais aussi s’efforcer d’anticiper ceux de demain.
De nombreux changements ont eu lieu ces dernières années et vont se poursuivre : les personnes qui emmènent leur vélo dans le train étaient un épiphénomène, aujourd’hui les nouvelles rames sont pensées pour les accueillir ; faire du vélo à Paris était il n’y a pas si longtemps une pratique jugée dangereuse, désormais, de nombreuses pistes ont été tracées ; dans certains endroits, la billettique disparaît ; les lignes de métro sont de plus en plus automatisées, les mobilités fluviales, aériennes (téléphériques) et autonomes se développent…
Et pour organiser tout cela, les solutions interconnectées de mobilité qui regroupent sur une seule et même plateforme toutes les offres disponibles — de Car Express, de bus, de tram, de vélo, etc. — sont, me semble-t-il, une nécessité.
Quoi qu’il en soit, l’objectif pour Transdev est de continuer à être un intégrateur de solutions de mobilité, et de pouvoir proposer à nos utilisateurs toutes les solutions qui seront là demain. Donc on teste tout, toujours dans le but d‘offrir un service efficace à un coût attractif qui permet de laisser sa voiture.