Tour de France des Mobilités - 3 questions à François Durovray
Interview de François Durovray, président du département de l’Essonne, et administrateur d’Ile de France Mobilité, concernant la création d'un réseau de car express.
L’équipe de Karos a eu l’immense plaisir d’échanger avec François Durovray, président du département de l’Essonne, et administrateur d’Ile de France Mobilités. M. Durovray a récemment remis à IDFM un rapport qui préconise la création d’un réseau de car express en Ile de France, et plus largement dans les grandes métropoles françaises.
Joachim Renaudin : Bonjour François Durovray, vous venez de publier un rapport sur les cars express en Ile de France. Avant d'évoquer ses conclusions, pouvez-vous revenir sur les problématiques de mobilité constatées en Ile de France qui ont motivé ce travail ?
Depuis plusieurs décennies, on observe un étalement de la population urbaine, qu’il soit volontaire, avec la recherche de meilleures conditions de vie, ou contraint par la hausse du prix de l’immobilier dans les centres des métropoles. Les emplois, pour leur part, restent très concentrés dans certains espaces des métropoles, générant une désynchronisation entre les lieux d'habitation et les lieux d'emplois. Si l’on prend l’exemple de l’Île de France, c'est 68 % des emplois qui sont sur 6 % du territoire seulement. Dans un territoire où Il y a quasiment la moitié de la population qui habite en grande couronne, cela se traduit par des temps de parcours qui sont de plus en plus longs, de plus en plus contraints compte tenu des embouteillages, de plus en plus coûteux compte tenu du prix de l'énergie et qui sont polluants parce qu'ils sont effectués en voiture, le plus souvent seul.
La dernière raison, au-delà des questions économiques, écologiques et d’aménagement du territoire, elle est démocratique. Aujourd'hui nous avons des Franciliens qui vivent très mal, et qui ont le sentiment d'être déclassés et d'être assignés à résidence lorsqu'ils vivent en banlieue et qui n'ont pas d'autres choix que d’utiliser leur voiture pour se rendre à leur travail ou faire leurs activités privées.
Il faut trouver des solutions à ces problèmes d'aménagement du territoire grâce aux transports en commun, et les cars express font à mes yeux partis de la solution.
Quelles sont les vertus du Car express comme fondement de ce "4ème réseau de transport" en Ile de France ?
Je suis parti d'un constat, et d’un sentiment, c'est qu'on ne pouvait pas couvrir l'Île de France, et à fortiori la France, de réseaux de transport structurant uniquement avec le ferroviaire (et notamment de RER), parce que la densité de la grande couronne ou des périphéries françaises ne justifie pas des modes lourds ferroviaires.
En revanche, on a la chance en France d'avoir un réseau existant, qui est le réseau routier. Ce réseau est plutôt de bonne qualité, il est très structurant parce qu'il couvre très finement le territoire avec plus de 1 million de kilomètres de routes, dont un peu plus de 400 000 kilomètres de routes très structurantes puisqu'il s'agit des autoroutes, des nationales et des routes départementales. Ce patrimoine exceptionnel qui aujourd'hui supporte un trafic automobile “soliste” que j’aime qualifier de réseau qui est “plein de vide”, et qui a donc des réserves de capacité très importantes.
L'idée des cars express, c’est de construire un nouveau réseau structurant sur cette infrastructure. Il y a déjà des expériences qui existent, le plus souvent à succès par exemple à Bordeaux, Marseille en Ile de France, mais malheureusement ces exemples demeurent très anecdotiques en comparaison à ce qu’il se fait à l’étranger.
L’opportunité des cars express, c’est la chance de réaliser, à un coût très faible et limité pour la collectivité publique, ainsi que dans des délais extrêmement rapides, un nouveau réseau de transport qui offre une alternative écologique et économique à la voiture personnelle pour nos concitoyens.
Enfin, un élément qui me semble fondamental à mettre en avant, c'est que ces cars express sont également l'opportunité de transformer du “temps contraint” en “temps utile”. En effet, nos concitoyens perdent du temps dans les transports, notamment en voiture, et c'est du temps qui participe au mal vivre des gens de la périphérie. On peut transformer ce temps en du temps utile, parce qu'à partir du moment où on laisse sa voiture et on monte dans un car express confortable avec du wifi, on peut faire autre chose, travailler ou se divertir avec un temps de parcours garanti.
Je vois donc 4 principaux types de ligne de car express:
- Les lignes qui permettent de relier domicile et travail
- Les lignes qui permettent de relier des zones d'habitat peu densément peuplées vers des réseaux de transports publics structurants (gares de RER, gares du Grand Paris Express en ce qui concerne l’Ile de France)
- Les lignes qui empruntent les réseaux routiers magistraux existants
- Les lignes d'aménagement du territoire.
Pour chaque ligne principale, des gares routières pourront être aménagées afin de faciliter l’accès et l’intermodalité avec ce nouveau réseau.
Le covoiturage est aujourd’hui une des seules alternatives durables à la voiture personnelle dans les zones périurbaines. Quelle doit être sa place selon vous, en lien avec ces nouvelles lignes structurantes ?
Le covoiturage selon moi s'intègre totalement dans ce nouveau système de transport public. Le département de l’Essonne est d’ailleurs très moteur sur le sujet du covoiturage pour ses administrés, et pour ses agents. A mes yeux, le covoiturage doit avoir accès aux voies qui peuvent être réservées à ces cars express. Ces voies peuvent demain être des lignes de covoiturage, et les gares routières joueront également un rôle de station de covoiturage, particulièrement dans les zones périphériques.
Les cars express ne marcheront qu'à partir du moment où l’on a une solution de mobilité près de son domicile. Ces gares routières doivent donc être intégrées au reste du réseau de mobilité. Cela passe évidemment par des mobilités actives avec des stations de vélos. Mais cela passe aussi par une offre de bus revisitée pour améliorer sa fréquence. Et c'est également là que le covoiturage a aussi toute sa pertinence. Le covoiturage démultiplie les solutions de mobilité au niveau de ces gares routières pour permettre de mailler plus finement le territoire, en venant chercher les passagers en porte à porte.
On peut tout à fait imaginer demain un réseau sur lequel les usagers pourront, depuis leurs cars express, réserver un covoiturage ou un transport à la demande avec une très bonne correspondance. La technologie existe déjà grâce aux opérateurs, et les automobilistes sont déjà de plus en plus adeptes du covoiturage. Tous les ingrédients sont réunis pour que cela fonctionne.