5 questions à... Matthew Baldwin, DG transport et Mobilité, Commission Européenne
Ambitions de l'Europe en matière de mobilité durable, rôle des politiques et des incitations pour changer les comportements, et des solutions spécifiques pour le péri-urbain... 5 questions à Matthew Baldwin, directeur général adjoint Transport & Mobilité de la Commission européenne.
Aujourd'hui, j'ai l'immense plaisir de m'entretenir avec Matthew Baldwin, directeur général adjoint de la DG Move de la Commission européenne.
Dans cette courte interview, nous discuterons du leadership et des ambitions de l'Europe en matière de mobilité durable, du rôle des politiques et des incitations gouvernementales pour changer les comportements, et des solutions spécifiques pour le péri-urbain.
Joachim Renaudin: Bonjour Matthew, pouvez-vous nous parler brièvement du rôle de la DG MOVE ?
Matthew Baldwin : La DG MOVE est le département de la Commission européenne chargé des transports et de la mobilité, qui couvre tous les différents modes de transport, de l'aviation à la route, en passant par le transport maritime et, bien sûr, la mobilité urbaine. Nous gérons également de grands projets tels que les réseaux transeuropéens, et investissons une grande partie de notre budget pour mieux connecter les différentes régions européennes.
Nous sommes également chargés de proposer la législation relative au transport au niveau européen, qui est ensuite adoptée par le Conseil et le Parlement européen.
JR : Pensez-vous que l'Europe est en avance sur les sujets de mobilité durable ?
MB : Oui, à mon avis, l'Europe est plutôt en avance sur ces sujets. Nous sommes confrontés à la crise du changement climatique et l'Europe s'est engagée à devenir neutre sur le plan climatique d'ici 2050. En outre, dans le cadre du European Green Deal, nous voulons réduire nos émissions de 55 % d'ici à 2030 : un objectif à la fois difficile et essentiel.
Lorsque nous analysons en détail les émissions, on constate que le transport est responsable d'un quart des émissions. C'est le seul secteur qui a vu ses émissions augmenter ces dernières années : il est urgent d’agir à tous les niveaux !
Dans le même temps, il faut garder en tête que la mobilité a révolutionné nos vies, nos usages et a apporté des progrès considérables. Ainsi, notre objectif est avant tout de rendre la mobilité plus durable, et pas du tout de la limiter. La stratégie de la DG MOVE est de faire en sorte que tous et chacun des modes deviennent durables. Pour certains modes, ce sera plus compliqué que pour d’autres, je pense notamment à l’aviation et le maritime. Pour ces modes, il est crucial d’accélérer le développement de modes de mobilité alternatifs.
JR : Qu'en est-il de la France ?
MB : Les accords de Paris ont une importance primordiale dans notre lutte contre le changement climatique. En cela, la France a une place particulière, car elle a été motrice, et continuera à l’être puisqu'elle présidera le Conseil de l'UE en 2022. Nous avons maintenant une loi européenne sur le climat, qui nous impose légalement d'atteindre notre objectif de 55 % de réductions d’émissions. Si les États membres refusent de suivre notre plan, ils devront proposer des alternatives équivalentes. Je suis convaincu que la France sera au rendez-vous.
JR : Notre mobilité a de fortes externalités négatives sur l'écosystème (pollution, congestion, perte de temps, étalement urbain...). Pensez-vous que les nouvelles technologies soient suffisamment puissantes pour compenser cet impact dans les années à venir ? ou les Européens devront-ils changer leurs habitudes, et leur façon de se déplacer ?
MB : Nous sommes tous confrontés à ces externalités et nous les constatons tous dans notre vie quotidienne, mais ce que l’on ne réalise pas souvent, c'est leur coût pharaonique : entre 600 milliards et 1 000 milliards d'euros par an à l’échelle de l'UE. Nous nous sommes engagés à résorber cette dette envers l’écosystème et la société d'ici 2050, et nous devons commencer dès maintenant, avec des mesures fortes. La bonne nouvelle est que si les externalités sont nombreuses, certaines solutions résolvent l'ensemble de ces externalités. Par exemple, si nous limitons notre dépendance à la voiture personnelle, non seulement nous réduisons les émissions de CO2 et particules fines, mais nous réduisons aussi les embouteillages, les accidents de la route, etc... Une seule politique bien menée peut servir plusieurs objectifs.
Je suis absolument convaincu que la technologie sera un élément clé pour favoriser ce changement. C’est déjà le cas, avec les voitures électriques qui se développent rapidement. Mais n'oublions pas que si nous remplaçons toutes nos voitures par des véhicules électriques, nous ne résoudrons pas le problème de la congestion ! Un embouteillage de voitures autonomes et électriques reste un embouteillage.
Si rien d'autre n'est fait, vous accentuez la situation actuelle dans laquelle vous avez de facto un coût fixe élevé pour posséder une voiture, et un faible coût marginal pour l'utiliser. Cette question du coût est l'une des raisons pour lesquelles on se retrouve avec des gens assis seuls dans leur voiture dans les embouteillages le matin. La situation pourrait empirer pour les voitures électriques, où les coûts fixes sont plus élevés (véhicule plus coûteux) et le coût marginal plus faible (électricité vs carburant) ! Le modèle de propriété des voitures devra nécessairement changer dans un avenir proche.
C’est pourquoi nous devons fortement encourager le changement de comportement en modifiant le coût réel de la mobilité. Les gouvernements nationaux, qui vont voir leurs revenus tirés des taxes sur les carburants diminuer, proposeront probablement de nouvelles solutions, telles que la tarification routière pour rendre plus coûteux l'usage de la voiture. Dans le même temps, de nouveaux comportements doivent être encouragés. Si nous pouvons rendre le vélo plus sûr et plus attrayant dans les zones urbaines, davantage de personnes l'utiliseront. Si nous construisons des pistes cyclables, les études montrent que la part modale du vélo augmentera fortement. Si nous pouvons créer plus d’intermodalité vélo + transport en commun, alors l’usage sera pérennisé.
JR : La mobilité urbaine est sur toutes les lèvres ; chaque jour, un nouveau fournisseur de mobilité apparaît dans les centres-villes. Pourtant, des centaines de millions d'Européens vivant dans des zones péri-urbaines et rurales n'ont toujours pas d'autre choix que d'utiliser leur voiture personnelle. Comment pouvons-nous améliorer la mobilité en zone peu dense?
MB : Si nous nous concentrons uniquement sur les villes pour nos investissements de mobilité durable, nous n'obtiendrons pas les résultats escomptés. Copenhague, Bruxelles et la plupart des villes européennes voient une grande partie de leur trafic provenir de l'extérieur de la ville. Ce que j'aime souligner, c'est que ces conducteurs seuls dans leur voitures, n'ont souvent pas le choix, c’est un mal nécessaire: ils font que réagir au système et aux options de mobilité que nous leur offrons.
Nous devons réfléchir avec beaucoup de créativité et d’ambition pour réduire l'impact de la voiture personnelle. Le covoiturage domicile-travail est évidemment une excellente solution, et les voies réservées sont en place depuis plusieurs années dans des pays comme les États-Unis. La France a un rôle de leader sur ce marché, et les autres pays peuvent prendre exemple sur ce que réalise par exemple Karos. Mais ce n'est pas la seule solution. Je pense qu'il faut voir plus loin, notamment des parkings relais beaucoup plus poussés en périphérie des centres urbains, avec des solutions d'intermodalité efficaces prévues (vélos électriques, transports publics).
Il n'y a pas une seule et unique solution. C’est pourquoi, au niveau européen, nous nous efforçons de définir le bon cadre. Au final, c’est avant tout sur les États membres et les collectivités locales que cela reposera pour mettre en œuvre les bonnes politiques et rendre la mobilité plus durable.