3 questions à... Honoré Rouland, expert covoiturage au CEREMA
Découvrez l'interview de Honoré Rouland, CEREMA
Cette semaine, nous avons eu le plaisir d'échanger avec Honoré Rouland, chef de projet mobilité partagée au CEREMA, afin d'y voir plus clair sur le développement du covoiturage domicile-travail.
Au menu : le domaine de pertinence pour le covoiturage, et la question centrale du rôle de l'incitation financière dans le développement de la pratique.
Malgré une multiplication des initiatives locales, le covoiturage reste marginal sur les trajets domicile-travail. Comment l’expliquer ?
Le covoiturage du quotidien peine en effet à décoller contrairement au covoiturage longue distance qui a connu un véritable essor. Cela s’explique assez facilement : les économies réalisées en covoiturant augmentent avec la distance parcourue alors que les contraintes liées au covoiturage sont indépendantes de la distance parcourue. Pour la courte distance, ces économies sont parfois encore perçues comme trop faibles, et le recours à la voiture individuelle comme beaucoup plus facile.
Pour le conducteur, ces contraintes liées au covoiturage sont d’avoir des horaires fixes de départ, induisant une perte de flexibilité, de faire un ou plusieurs détours pour récupérer et déposer les passagers, de partager sa voiture avec un inconnu, ou encore de trouver des covoitureurs, par exemple grâce à une application. Pour le passager, changer de comportement pour faire du covoiturage lorsqu’on était préalablement autosoliste, peut être une véritable révolution dans ses pratiques de mobilité. En plus des contraintes liées à l’organisation des trajets et aux horaires fixes, les passagers perdent la possibilité de pouvoir se déplacer en véhicule en journée. Ils prennent aussi le risque de ne pas trouver de solution de mobilité pertinente pour rentrer chez eux, en cas d’annulation du trajet retour par le conducteur. Passer de l’autosolisme au covoiturage régulier en tant que passager implique parfois une refonte de l’organisation et des habitudes de déplacements du quotidien. Le Cerema a d’ailleurs publié une étude en 2018 sur les freins à la pratique du covoiturage courte distance.
Pour développer le covoiturage il faut donc réduire les contraintes, augmenter les avantages liés à la pratique et accompagner les changements de comportement. C’est ce que s’emploient à faire les collectivités et les opérateurs de covoiturage.
Quel rôle peut jouer le covoiturage dans l’offre de mobilité d’une AOM, et quel peut être son domaine de pertinence ?
Les enjeux liés au développement du covoiturage ne sont pas les mêmes en zones denses et en zones rurales. Le covoiturage peut répondre d’ailleurs à différents objectifs de politique publique : diminuer les émissions de GES ou de polluants, réduire la congestion, réduire les nuisances sonores, garantir le droit à la mobilité pour tous, etc.
L’essentiel est de se doter d’une stratégie territoriale de covoiturage concertée avec l’ensemble des acteurs publics et privés, y compris les employeurs du territoire. Face au défi considérable que constitue le développement du covoiturage du quotidien, chacun détient en effet une partie de la solution. À titre d’exemple, l’AOM organise et subventionne des services de covoiturage. Les gestionnaires de voirie, eux, ont la possibilité d’aménager les infrastructures qui relèvent de leur compétence. La Région, cheffe de file de l’intermodalité joue son rôle sur la complémentarité des modes de transports proposés. Cette stratégie doit permettre de se fixer des objectifs et de se donner les moyens de les atteindre. Elle doit notamment fixer une liste de leviers (animation, servies, infrastructures) à mettre en œuvre et répondre aux enjeux d’articulation et de complémentarité du covoiturage avec les autres services de mobilité, notamment les transports en commun.
En quoi l’incitation financière a un rôle à jouer pour développer durablement la pratique du covoiturage ? Quelles sont ses limites ?
Les campagnes d’incitation financière ont un effet sur la pratique du covoiturage observable sur le Registre de Preuve de Covoiturage (RPC). Les chiffres du RPC grimpent généralement en flèche après le lancement de ce type de dispositif sur un territoire ou au sein d’une entreprise, même si ces chiffres sont à prendre avec précaution.
Pour bien comprendre les limites de l’extrapolation des chiffres remontés par le RPC il faut distinguer 4 profils différents de bénéficiaires :
- les covoitureurs qui ne covoituraient pas avant la mise en place du dispositif, qui ont changé leur pratique et covoiturent et qui seraient prêts à continuer le covoiturage si le dispositif d’incitation disparait. Il s’agit là d’amorcer un changement de comportement durable dans le temps.
- les covoitureurs qui ne covoituraient pas avant la mise en place du dispositif, qui ont changé leur pratique et covoiturent mais qui ne seraient plus prêts à covoiturer à l’extinction du dispositif. Il s’agit là d’un changement de comportement conditionné au versement d’une subvention.
- les covoitureurs qui covoituraient déjà avant la mise en place du dispositif, qui bénéficient des incitations financières et qui naturellement continueraient de covoiturer en l’absence du dispositif. Il s’agit là d’un effet d’aubaine
- et les éventuels fraudeurs, qui ne covoiturent pas et bénéficient tout de même de l’aide. Elles sont fermement combattues par les services de l’Etat et les opérateurs, et on peut espérer que ces fraudes soient demain réduites au minimum.
L’effet réel d’un dispositif d’incitation financière dépend grandement de la proportion respective de chacun de ces profils parmi les bénéficiaires du dispositif. Cette proportion est aujourd’hui mal connue, mais les travaux conjoints du Cerema, de l’Ademe et l’Etat permettront bientôt d’objectiver davantage l’effet de ces dispositifs.
Enfin, ces dispositifs permettent également de mettre un coup de projecteur sur la pratique du covoiturage du quotidien mais aussi de récolter des données via le RPC afin d’identifier des lieux d’appariement, des axes ou des O/D ou la pratique du covoiturage est particulièrement développée.
Comment le CEREMA accompagne les AOM sur le sujet du covoiturage ?
Le Cerema accompagne les collectivités locales qui s’engagent dans le développement de cette mobilité partagée. Il apporte son expertise en appui à l’ingénierie des collectivités, tant à l’échelle régionale et métropolitaine que dans les territoires ruraux et périurbains. Il intervient sur des thématiques très variées : évaluation du potentiel de covoiturage, déploiement et évaluation d’un service ou d’un dispositif incitatif, mise en place de voies réservées et contrôles associés par caméra, etc. Le fond vert est d’ailleurs une excellente opportunité pour solliciter l’expertise du Cerema.
Le Cerema lancera par ailleurs très bientôt un appel à partenaires auprès des AOM, pour travailler ensemble sur l’enjeu des stratégies territoriales de covoiturage, pour agir de façon concertée entre les acteurs sur les différents leviers. Cet appel devrait être publié au tout début du mois d’octobre.